Histoire de l’Abbaye de Saint-Wandrille

Du VIIème au Xème siècle

Le 1er mars 649 un maire du palais de Clovis II cède ses droits sur un domaine royal situé au bord d’un ruisseau affluent de la Seine, la Fontenelle, dans la forêt de Jumièges, à deux moines, Wandrille et Gond 690 Wandrille, plein d’humilité, de douceur et d’obéissance envers l’évêque de Rouen, saint Ouen, qui avait voulu cette fondation monastique, veille jusqu’à sa mort, le 22 juillet 668 sur une communauté florissante, construisant sept églises dédiées à saint Pierre, saint Paul, saint Laurent, saint Pancrace, saint Saturnin, saint Amand, Notre Dame.

Ses successeurs, dont saint Lantbert 688 futur évêque de Lyon et saint Ansbert 695 futur évêque de Rouen, voient un accroissement de la communauté, en nombre et en qualité nombreux sont les saints qui fleuriront dans la vallée de Fontenelle ou dans les fondations qui lui seront rattachées : saint Erembert (+671), saint Condède (+680), saint Vulfran (+697), saint Bain (+710), saint Hildebert (+701), saint Sindard, saint Désiré, saint Hermeland (+720), saint Bagga, saint Bénigne (+724), saint Milon (+730), saint Hugues (+732), saint Landon (+735), saint Ermier (+740), saint Ravenger (+750), saint Austrulf (+753), saint Wandon (+754), saint Hardouin (+812), saint Hartbain.

Cette prospérité dure jusque vers 740. A cette époque vont se succéder des abbés laïcs qui mettront à mal spirituel et temporel.
En 823, succédant comme abbé de Fontenelle à Eginhard, Anségise renouvelle la ferveur de ses fils et ramène une brillante vie intellectuelle et spirituelle, réinstaurant une vie régulière, reconstruisant les bâtiments et enrichissant bibliothèque et trésor.
Les Gesta sanctorum patrum Fontanellensis cœnobii, rédigés entre 820 et 840 retracent, à la façon du Liber Pontificalis romain, la vie et les faits notables des abbés de Fontenelle, de Wandrille à Anségise. On a pu écrire qu’ils constituaient la plus ancienne chronique monastique d’Occident. Ils signalent en particulier l’existence d’un «bouleuterion», ou salle de délibération : c’est le témoignage écrit le plus ancien que nous possédions concernant une salle capitulaire.

C’est à cette même époque que la Vita Wandregisili écrite à la fin du VIIe siècle est corrigée et rééditée, ainsi que les vies des saints Ansbert et Vulfran ; on compose également les vies des saints Lantbert, Condède et Hermeland.

Mais les exactions des vikings se succèdent jusqu’au pillage et à l’incendie du 9 janvier 852, qui entraînent après diverses pérégrinations, l’exode des moines, avec les reliques des saints Wandrille et Ansbert vers le Nord de la France. Les reliques sont transférées en 944 à Gand, avec ce qui reste de la pauvre communauté ambulante de Fontenelle.

En 960, moines de Fontenelle, sous la conduite de l’abbé Maynard, reprennent le chemin de la Basse-Seine, et sur les fondations anciennes, reconstruisent modestement le monastère de qui prend le nom de Saint-Wandrille.
Diverses fondations voient le jour, dont le Mont-Saint-Michel en 967.

En 1006, le duc de Normandie Richard II relancera l’œuvre de restauration monastique en confiant Fontenelle à l’abbé saint Gérard (+1029). Ce dernier reconstruit les pauvres bâtiments laissés par ses prédécesseurs, en particulier le réfectoire et le dortoir, grâce à de généreuses aumônes de nobles dames normandes, et grâce au développement du culte de saint Vulfran. On avait en effet découvert ses reliques dans les fondations de l’église en 1008.

La nouvelle église abbatiale Saint-Pierre sera dédiée le 12 septembre 1031 sous le brillant abbatiat de saint Gradulphe (+1048). Ce dernier et ses successeurs aident à la fondation ou à la restauration des abbayes normandes du Mont-Sainte-Catherine à Rouen, de Préaux, de Grestain, de Montivilliers, de Fontenay (près de Caen).

Le monastère est à son apogée sous l’abbatiat de Gerbert (+1089) : plusieurs de ses moines deviennent abbés, Durand à Troarn, Onfroy et Geoffroy à Préaux, Ingulf à Croyland, Gontard à Jumièges, Gautier au Mont-Sainte-Catherine de Rouen. Guillaume le Conquérant fait donation à l’abbaye Saint-Wandrille de nombreux domaines en Normandie et en Angleterre.

Durant le XIIe siècle, le scriptorium s’enrichit, la régularité se maintient, l’aumône est largement pratiquée.

Au XIIIe siècle, des abbés tentent, plus ou moins fermement de réformer les abus qui commencent à poindre, dus surtout à l’appropriation des offices et de leurs revenus par les moines. L’église abbatiale du XIe brûle en 1248. L’abbé Pierre Mauviel commence sa reconstruction. Ses successeurs Geoffroy de Nointot (+1288), Guillaume de Norville (+1304) et Guillaume de La Douillie (+1342) poursuivent la construction de l’église dont le gros œuvre est achevé en 1331. On commence aussi à rebâtir le cloître.

Mais la guerre de Cent Ans désole le pays. Se succèdent alors, jusqu’en 1450, des périodes de tranquillité, pendant lesquelles on travaille aux bâtiments, et des périodes de troubles, pendant lesquelles les religieux trouvent refuge dans leur hôtel de Rouen.

La commende apparaît à la fin du XVe siècle. Si la régularité vacille, les constructions vont bon train : trois galeries du cloître sont reconstruites à partir de 1494 et achevées sous l’abbatiat de Jacques Hommet (1505-1523), dernier abbé régulier.

Les abbés commendataires se contenteront par la suite de faire administrer l’abbaye au mieux de leurs propres intérêts pécuniaires.

En mai 1562, le monastère est saccagé par les troupes huguenotes. Les revenus diminuent ou font l’objet de lourdes procédures.
De 1585 à 1690, ce sont les prélats de l’opulente famille de Neufville de Villeroy qui vont «exploiter» le monastère.

Quinze mauristes prennent possession du monastère le 14 janvier 1636. Quant aux anciens religieux, ils restent sur place dans des demeures indépendantes, et gardent leurs charges et revenus jusqu’à leur mort.

Les moines mauristes, jeunes et pleins d’ardeur, reprennent donc à Saint-Wandrille la vie régulière. Ils reconstruisent les uns après les autres les bâtiments vétustes : hôtellerie, infirmerie, sacristie, chapitre, promenoir et dortoir.

Une vie fervente et studieuse reprend avec la réorganisation et l’enrichissement de la bibliothèque et du chartrier. Certains (dom Bréard et dom Féray) s’attachent à réveiller le souvenir de la sainteté de leurs prédécesseurs, par l’étude de leurs vies, et le développement de leur culte.

A partir de 1666 et jusqu’à la Révolution, Saint-Wandrille est le siège d’un cours pour les moines étudiants de la province, ou un séminaire de jeunes profès, ou le noviciat (de 1723 à 1739). Matières enseignées, professeurs, lecteurs et enseignants s’y succéderont d’année et année, y maintenant une bonne vitalité.

Comme toute la congrégation de Saint-Maur, Saint-Wandrille est agité par la crise janséniste à partir de 1720, mais sans devenir un bastion de résistance à la bulle Unigenitus comme ses voisines du Bec et de Fécamp.

Cette fin du XVIIIe siècle à Saint-Wandrille comme dans les monastères voisins, est caractérisée par une relative prospérité financière retrouvée depuis l’achèvement des grands travaux de reconstruction, un certain relâchement dans l’austérité de la vie, l’introduction des idées philosophiques, l’affiliation de plusieurs moines à des loges maçonniques.

On peut y ajouter un certain esprit de querelle et de contestation : ainsi l’avant-dernier prieur est-il embastillé en 1783 : il protestait dans un libelle contre un arrêté royal convoquant un chapitre général extraordinaire de sa congrégation ; le prieur ne fut relaxé qu’après la clôture de ce chapitre, et dut quitter la congrégation.

Néanmoins, pendant les années précédant immédiatement la Révolution, le nombre de vocations connaît une tendance à se redresser.

l’oeuvre des Mauristes à Saint-Wandrille

Œuvre spirituelle : vie ascétique restaurée, vitalité intellectuelle et spirituelle par la présence du cours de philosophie, de théologie, du noviciat, à partir de 1690, c’est-à-dire après la reconstruction des bâtiments, et jusque 1790. Activités caritatives habituelles à tous les monastères de cette époque.

Œuvre hagiographique : recherches sur l’histoire ancienne du monastère, sur le culte des saints locaux, sur les sources du monachisme à Fontenelle.

Œuvre architecturale :

  • restauration de l’église (disparue),
  • construction du bâtiment Ouest, 1655-1668 : hôtellerie puis infirmerie,
  • construction du bâtiment du dortoir, 1672-1680 (après destruction de l’ancien chapitre et de l’ancien dortoir),
  • construction du mur de clôture, 1680,
  • agrandissement des communs (ateliers), 1695,
  • construction des pavillons et de la porte de Jarente, 1756 (et destruction de l’église Saint-Paul et du logis abbatial).

Le bâtiment Ouest, la porte de Jarente et les deux pavillons.

Le promenoir de l’aile du dortoir (aile Est)

La congrégation de Saint-Maur, congrégation nationale issue en 1618 de la congrégation lorraine de Saint-Vanne, apporte une ferveur et une vitalité spirituelle issues directement du grand mouvement qui réforma l’Eglise après le concile de Trente, une organisation centralisée, un supérieur général issu d’un chapitre général triennal, des supérieurs locaux triennaux nommés par ce même chapitre général.
 
En Normandie, pour mémoire, ont appartenu à cette congrégation les abbayes de Saint-Ouen de Rouen, Jumièges, Le Bec, Caen, Fécamp, Boscherville, Valmont, Saint-Evroul, Conches etc.
 
Quand la congrégation lorraine de Saint-Vanne avait étendu son action réformatrice, dans la lignée du concile de Trente, en France, s’était en effet posée la question de la fidélité à la couronne, qui avait trouvé une solution rapide dans la création d’une congrégation bénédictine française, qui va absorber assez rapidement les mouvements similaires déjà existants, sauf l’ordre de Cluny, qui ne s’unira pas durablement à Saint-Maur.
 
De 1618 à 1645, 88 monastères vont s’y agréger, il y en aura 178 en 1675, 191 en 1766 (une vingtaine seront fermés dans les années 1770), avec 1956 religieux. Au total, de 1614 à 1790, la congrégation aura 9261 religieux.
De 1618 à 1645, 88 monastères vont s’y agréger, il y en aura 178 en 1675, 191 en 1766 (une vingtaine seront fermés dans les années 1770), avec 1956 religieux. Au total, de 1614 à 1790, la congrégation aura 9261 religieux.

Que reste-t-il de cette époque et de cette réforme ? Les bâtiments construits par les mauristes, sont toujours des édifices intéressants, et souvent le siège d’administrations…

La masse des documents récoltés ou rédigés par les mauristes est toujours une richesse des dépôts d’archives publiques, ainsi que leurs bibliothèques, avec leurs copies de manuscrits, collations de textes, travaux d’érudition, dont une bonne part non encore exploitée.

Si la congrégation de Saint-Maur, n’a pas de saints ou de bienheureux, outre les martyrs de septembre et ceux des pontons de Rochefort, elle a connu une multitude de « justes » à la vie exemplaire, dont la biographie édifiante a été conservée par dom Martène dans sa Vie des justes, ou même dans son Histoire de la congrégation de Saint-Maur. Hommes habités de Dieu, très humains au quotidien, comme dom Grégoire Tarrisse, Claude Martin, Jean Mabillon, Bernard de Montfaucon.

C’est surtout de la bourgeoisie que sont issus la majorité des moines mauristes, bourgeoisie vertueuse et austère, marquée par la réforme catholique du concile de Trente, mise en application en France dans la première moitié du XVIIe siècle.

A son déclin, à la Révolution, la congrégation connaîtra un certain nombre de religieux qui affrontèrent la situation et la persécution avec sérieux, comme les trois martyrs de septembre –dont le supérieur général –, assassinés aux Carmes à Paris, et les martyrs des pontons de Rochefort, morts d’épuisement en 1794.

organisation mauriste

Cette organisation est celle de la congrégation de Saint-Vanne, qui elle-même avait repris la pratique de la congrégation cassinaise. Cette organisation, adaptée, fut définie en 1645, la congrégation elle-même ayant été approuvée par le pape Urbain VIII en 1628. Les textes législatifs mauristes sont les « déclarations » qui interprètent la Règle de saint Benoît chapitre par chapitre, les « constitutions » qui fixent ce qui concerne le gouvernement de la congrégation.
 
Six provinces : Normandie, France, Bretagne, Bourgogne, Toulouse, Chezal-Benoît. Dans chaque province, un visiteur et une diète provinciale, qui regroupe tous les ans les prieurs des monastères et un « conventuel » élu.
 
L’autorité suprême revient au chapitre général triennal, qui désigne le supérieur général, les visiteurs et prieurs, élus pour trois ans. Le siège du supérieur général était à Saint-Germain-des-Prés à Paris. Chaque province a son noviciat et son scolasticat.
 
Les moines mauristes ont leur stabilité fixée dans la congrégation, et non plus dans un monastère donné, ce qui permet les transferts fréquents d’une maison à une autre, favorisant dès les débuts la réforme des monastères et profitant ainsi à l’efficacité de la congrégation. Il s’ensuivra obligatoirement une uniformisation des pratiques monastiques dans tous les monastères mauristes, pour éviter une disparité de vie entre les maisons où tous sont indifféremment appelés à résider. Chaque monastère est administré par un prieur, assisté d’un chapitre conventuel et d’un conseil de quatre sénieurs. Rien dans la législation ne semble avoir été laissé à l’imprévu, et tout semble avoir été sagement codifié.
pourquoi une telle organisation ?

Tout simplement pour faire face au mal que constituait la commende, c’est-à-dire l’attribution de l’abbatiat par le roi à un clerc non moine, sans que les communautés aient quoi que ce soit à objecter, depuis le concordat de Bologne en 1516, pour échapper donc à l’ingérence des commendataires, il fallait établir des prieurs, qui détenait le gouvernement des monastères, mais qui ne dépendraient en aucune façon de ces commendataires.Également pour conserver la régularité dans les monastères et échapper à la détention des charges assimilées à des biens personnels.
 
Cet abandon de la stabilité locale et de la paternité abbatiale – qui avait laissé la place à une administration hiérarchisée – sont les plus grands défauts de la congrégation de Saint-Maur. Ces défauts, qui sont des qualités dans le système pratiqué dans d’autres ordres comme les dominicains, ou dans la Compagnie de Jésus, ces défauts étaient en réalité les seuls remèdes qu’on pouvait apporter au système de la commende, pour mettre en application après le concile de Trente, les grands principes de la réforme catholique.
 
Le développement le plus riche de la congrégation de Saint-Maur est celui des années 1660 à 1714. De 1718 à 1735, la congrégation connaît une crise très grave. De 1754 à 1783, également, d’autant plus grave que le pouvoir royal vient alors s’ingérer dans le règlement de la crise. Une reprise réelle débutait quand survint la révolution française.
activités des moines mauristes

Dès l’origine on voulut donner aux moines mauristes une solide formation monastique, assise sur de bonnes études humanistes menées précédemment, en orientant la vie des religieux vers le travail intellectuel, et en l’organisant de manière efficace.
 
Le double intérêt de cette activité intellectuelle était :
– en conformité avec leur vocation de solitude, de procurer une occupation aux moines
– laquelle participait à leur progrès spirituel, et pouvait servir l’Église, par exemple en fournissant de bonnes éditions de textes anciens, d’utiles instruments de travail.
 
L’idée apologétique de Contre-Réforme et de démarche vers les Réformés en vue de leur conversion n’était pas absente de leur démarche intellectuelle.
 
Le sérieux des études menées et des publications entraîna le respect tant des milieux littéraires, que du roi, et du Saint-Siège. Les supérieurs généraux encouragèrent et organisèrent les études. De nombreux monastères étaient intéressés à l’œuvre, soit en fournissant des matériaux à l’équipe réunie à Saint-Germain-des-Prés, soit en exploitant ces matériaux aux plans provincial et local.
 
Dans chaque province mauriste, des monastères étaient plus spécialement affectés aux études. Les moines les plus brillants étaient envoyés ensuite à Saint-Denis ou à Saint-Germain-des-Prés pour y travailler collectivement à une œuvre d’édition de longue haleine, dirigée par un moine ou une équipe, ou même des moines successifs (ainsi pour l’édition des œuvres de saint Augustin).
 
Les orientations des travaux d’érudition et de publication visent :
– la glorification de l’ordre bénédictin, l’édification spirituelle des moines, par la publication des textes des Pères, de 1650 à 1710, Pères latins à la fin du XVIIe, Pères grecs au début du XVIIIe,
– l’illustration et la glorification de l’histoire française, de 1710 à 1760, se mettant ainsi au service de l’Etat, par le biais de la collaboration scientifique. La congrégation a toujours brillé dans le champ de la patristique et de l’histoire.
 
La mort de Montfaucon en 1741 marque un ralentissement de l’émulation intellectuelle. Il faut nuancer en disant que la recherche des textes et des documents et leur interprétation s’échelonnèrent sur toute la durée de la congrégation, Annales de l’Ordre de saint Benoît, sans être achevée au moment de la révolution pour un bon nombre, Histoire littéraire de la France, Recueil des historiens des Gaules, Gallia christiana.
 
Par ce travail, la congrégation rendait service à l’Eglise et à l’Etat. Dans les derniers temps, pour légitimer une vie monastique contestée, elle s’investit dans les collèges et les écoles militaires, prenant alors la place des jésuites supprimés.
spiritualité mauristes

Les écrits spirituels sont surtout inspirés par la méditation des Pères de l’Eglise. L’Ecriture nourrit moins la vie spirituelle. Philosophie cartésienne et pensée thomiste sont présentes et parfois s’affrontent.
 
L’hagiographie favorise l’ascèse, insistant sur la mortification du corps et des sens, elle montre l’importance de la régularité. La vie intérieure est inspirée du mysticisme rhéno-flamand et de la mystique thérésienne. Les dévotions et la piété demeurèrent malgré l’influence du courant des Lumières. Des liens d’amitié lièrent de nombreux mauristes aux principales figures du jansénisme dont ils appréciaient l’austérité. Ce jansénisme des mauristes se révéla à partir de la bulle Unigenitus, plus politique que doctrinal.
 
Dom Hesbert a étudié le vocabulaire de la théologie monastique et ses « mots-clés » dans l’Histoire de la congrégation de Saint-Maur de dom Martène. Douze mots-clés se dégagent : pénitence, oraison, régularité, austérité, retraite, exactitude, mortification, observance, solitude, silence, devoir, séparation du monde. On peut les regrouper en trois pôles :
 
l’ascèse, pénitence, austérité, mortification, pratiquée sous forme restrictive (abstinence de nourriture, de chauffage) ou sous forme afflictive (cilice, discipline).
 
la discipline monastique :
– dans son aspect constitutif, séparation du monde, retraite, solitude, silence,
– sous l’aspect de la fidélité aux vœux, régularité (conformité à la Règle), exactitude, observance, devoir
 
la prière, l’oraison, oraison mentale, présence continuelle de Dieu, oraison thérésienne.
Les idées force du monachisme mauriste sont les suivantes :
– il n’y a pas de vie monastique sans séparation du monde, séparation initiale, et séparation entretenue ;
– il n’y a pas de vie monastique cénobitique sans discipline régulière, sans une organisation précise de la vie commune (y compris l’office divin), ordonnée à l’épanouissement de l’âme ;
– il n’y a pas de vie monastique sans ascèse ;
– il n’y a pas de vie monastique sans prière.
Les trois grands axes de la réforme monastique mauriste sont régularité, austérité, intériorité

Quand la Révolution commença, et que très vite, dès le mois de février 1790, les vœux solennels furent abolis par l’Assemblée nationale, et donc la vie monastique, tous les moines qui étaient à Saint-Wandrille demandèrent à se retirer.

Plusieurs prêtèrent le serment constitutionnel pour obtenir une charge de curé. Le cas le plus remarquable est celui du prieur, dom Alexandre Jean Ruault, qui fut élu maire de Saint-Wandrille, démissionna dès le 7 novembre 1790, devint curé constitutionnel d’Yvetot, fut élu à la Convention en septembre 1792, fut emprisonné pendant un temps, finalement apostasia par lettre devant la Convention en déclarant que désormais sa carte de citoyen français serait le seul diplôme dont il veuille s’honorer. Devenu fonctionnaire sous l’Empire, et s’étant marié, il mourut à Coulommiers en 1824.

Semblable est le cas du dernier abbé commendataire, le cardinal Etienne de Loménie de Brienne (1727-1794), archevêque de Toulouse puis de Sens, ministre des Finances de Louis XVI en 1787 et 1788, qui prêta le serment constitutionnel, devint « évêque du département de l’Yonne », fut déchu du cardinalat par le pape Pie VI en septembre 1791, puis renonça au sacerdoce en novembre 1793. Il mourut alors qu’il allait être arrêté ; son neveu et coadjuteur, Martial de Loménie de Brienne, dernier abbé de Jumièges, fut guillotiné le même jour que Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI.

On ne peut donc pas parler d’une fidélité de toute la communauté. Les esprits avaient été marqués par les courants de pensée de cette fin du XVIIIe siècle : le rationalisme, le jansénisme politique, le gallicanisme… Plusieurs moines appartenaient, avant 1789, à la franc-maçonnerie, et signaient comme tels.

Le tranquille héroïsme de dom Lebrun n’en ressort que d’autant plus : il fut fidèle malgré les conditionnements de son temps, le manque d’héroïsme de ses confrères…

Un des bateaux-ponton.

Louis-François Lebrun naquit le 4 avril 1744 à Rouen où son père était marchand pelletier et trésorier de la paroisse Saint-Herbland, située sur le parvis de la cathédrale. La famille s’installa bientôt rue Grand-Pont, sur la paroisse Saint-Cande-le-Jeune.
 
Il entra au noviciat de la province de Normandie de la congrégation de Saint-Maur, situé à l’abbaye Saint-Martin de Sées, et y fit profession monastique le 10 juin 1763, à l’âge de 19 ans. A cause du caractère centralisé de la congrégation, les moines mauristes faisaient vœu de stabilité non pour un monastère, mais pour une province, et étaient appelés à vivre dans les différentes maisons de cette province. C’est ainsi que le Père Lebrun arriva à Jumièges au début de 1771, étant diacre. Il fut ordonné prêtre le 21 septembre 1771.
 
On peut dès lors le suivre dans les différentes charges qu’il remplit. En 1774, il était à Saint-Florentin de Bonneval, et fut nommé prieur de Saint-Sulpice de Courbehaye, en Beauce, dans le diocèse de Chartres, artifice qui permettait à la congrégation de toucher les revenus attachés à ce bénéfice. Il garda ce titre jusqu’à la Révolution.
 
En 1775, il fut transféré au Bec-Hellouin, puis devint prieur de Saint-Martin de Sées en 1778, de Notre-Dame de Valmont en 1779. En 1781, il est simple moine à Valmont, puis à Saint-Ouen de Rouen. En 1783, il est à Saint-Georges de Boscherville, où il est élu sénieur par la communauté. La même année le voit redevenir prieur à Bonne-Nouvelle de Rouen, mais il n’achève pas son triennat, probablement à sa demande. En décembre 1784, il signe comme moine à Saint-Ouen de Rouen. Enfin, il arrive à Saint-Wandrille en septembre 1788 où il est nommé sénieur par le prieur. On ignore quelle charge il a pu remplir en communauté.
la révolution

La loi du 13 février 1790 supprime les vœux solennels et donc les ordres religieux. Chaque moine de Saint-Wandrille dut donc déclarer devant la municipalité ses intentions.
 
Le prieur dom Ruault déclara vouloir se retirer, « ne pouvant connaître la maison qui lui sera assignée, ni le régime qu’il serait obligé d’y suivre ». Comme les autres moines, dom Lebrun émit la même intention, affirmant « en outre qu’en adhérant à la présente déclaration, il n’entend pas se dépouiller de la faculté accordée par l’assemblée de se retirer dans quelqu’une (sic) des maisons qui seront désignées par elle si ces maisons relativement à son goût pour l’étude pouvaient lui convenir telles que Bonnes nouvelles (sic) et Saint-Ouen de Rouen, Saint-Germain Després, Saint-Denis, aussi bien que le gouvernement spirituel et temporel qui y sera adopté » . Il se réservait aussi l’administration personnelle de la pension trimestrielle de 225 livres allouée aux anciens religieux, ainsi que la libre disposition de tout ce qui pourrait lui appartenir.
 
Dom Lebrun se retira à Jumièges, devenue maison de réunion, où pouvaient vivre des religieux de tous ordres et observances confondus. Mais en raison du grand désordre qui y régnait, et après un bref séjour au Bec, également maison de réunion, il se retira dès octobre 1791 dans sa famille, à Rouen.
 
Dom Lebrun n’avait pas eu à prêter le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé de juillet 1790, exigé seulement des curés et desservants nouvellement établis par le régime.Quand vint la loi du 10 août 1792 sur le serment « liberté-égalité », exigible dans les huit jours de tout citoyen touchant une pension de l’État, il refusa, s’en tenant à l’opinion commune des ecclésiastiques qui le désapprouvaient. Comme le directoire de Rouen était modéré, on le laissa tranquille. Mais la machine était en marche.
 
Mais la machine était en marche. Dès le 28 août, un décret de proscription générale prévoit la peine du bannissement pour tous ecclésiastiques non-assermentés : c’est l’exil ou la déportation en Guyane. Reprise du décret par la Convention le 21 avril 1793. Enfin, le 20 octobre 1793, 29 vendémiaire an II, il ne reste plus d’échappatoire aux anciens religieux : la Convention déclare que les insermentés ont dix jours pour se livrer, et être déportés. Passé ce délai, ils sont passibles de la peine de mort dans les vingt-quatre heures, eux et ceux qui les auraient cachés.
 
Pour ne pas mettre en danger sa sœur et son beau-frère qui l’hébergeaient, il se livra par lettre : Aux citoïens administrateurs du département de la Seine inférieure. Citoïens. La convention ayant rendu un décret les 29 et 30 jours du 1er mois de l’an second de la république française une et indivisible relatif aux ecclésiastiques sujets à la déportation (Art. 10. Tous les ecclésiastiques séculiers ou réguliers etc. qui n’ont point satisfait aux décrets du 14 aoust 1792 et 21 avril dernier etc.) et qui ordonne à ces mêmes ecclésiastiques mentionnés en l’art.10 qui cachés n’ont point été embarqués pour la Guïane françoise de se rendre auprès de l’administration de leurs départements respectifs qui prendront les mesures nécessaires pour leur arrestation embarquement et déportation en conformité de l’article 12, le citoien Louis François le Brun religieux bénédictin de la cidevant abbaïe de St Wandrille district de Caudebec, n’ayant point prêté ledit serment vient de se soumettre aux ordres du département et lui déclarer qu’il demeure chez le citoïen Sciaux chirurgien son beau-frère, rue des charretes n°62. Louis François Le Brun, à Rouen le 19 brumaire l’an deux de la république une et indivisible.

(Archives départementales de la Seine-Maritime, Rouen, L. 1222).

prison et déportation

Le jour même, il est arrêté et interné à la maison commune de Saint-Vivien de Rouen, en fait l’ancien grand séminaire devenu prison, où se trouvent déjà une soixantaine de prêtres.
 
Pendant plusieurs mois, ordres et contre-ordres arrivent, projets et contre-projets de déportation se suivent, prévoyant les uns un départ rapide vers la Guyane, d’autres vers l’Afrique occidentale ou Madagascar, où on aurait débarqué les prêtres en les abandonnant à leur sort. Enfin, le ministre Paré envoie l’ordre de départ vers Bordeaux ou Rochefort, au plus voisin… Dom Lebrun essaie de se faire déclarer inapte en demandant une visite médicale, laquelle a lieu le 29 ventôse avec un résultat négatif.
 
Le départ de Rouen a lieu le 1er germinal an II (21 mars 94). Un témoin des départs, M. de Horcholle, ancien avocat et procureur à la Chambre des comptes de Normandie, a noté en date du 6 mars : On a enlevé ce matin, du Séminaire St Vivien, actuellement maison de détention et de réclusion, quatorze bons prêtres, la plupart non fonctionnaires publics, par conséquent non compris dans le décret rigoureux du 24 avril 1793. On les a liés et garrottés dans une charrette, comme des scélérats, et conduits à Rochefort pour y être embarqués et déportés à la Guyane française, dans l’Amérique méridionale. On a continué ces départs jusques et compris le 21 de ce mois (Archives départementales de Rouen, Y.128*, fol. 97 et 98).
 
Dom Lebrun arrive le 20 germinal à Rochefort, soit un voyage de 503 kilomètres, ou 129 lieues, via Chartres, Tours et Poitiers, avec étapes dans des églises profanées ou des prisons.
les pontons

D’abord enfermé sur le Borée, un vieux vaisseau qui servait d’hôpital aux galeux, ancré en pleine Charente, dom Lebrun y subit une fouille ; le procès-verbal nous donne l’inventaire de ce qu’il avait pu emmener avec lui : vingt-trois volumes et la modique somme de 9 livres 10 sols et 3 deniers. Tout fut confisqué.
 
Dès le 22 germinal, il est transféré sur une petite goélette qui, en une nuit, l’emmène avec ses compagnons de captivité sur un navire négrier, Les Deux Associés. Le bâtiment, d’une taille de cinq à six-cents tonneaux, était un des deux vaisseaux devant transférer les déportés en Guyane, l’autre se dénommant Le Washington. Le Père Lebrun subit d’abord une autre fouille devant le commandant, le citoyen Laly, puis c’est la mise au régime du navire.
 
Il retrouve là de nombreux prêtres séculiers, des vicaires généraux, des chanoines et des religieux dont vingt-six moines, parmi lesquels dom Nicolas Dubois, moine à Fécamp en 1790, qui y mourut, dom Jean-Chrysostome Clérot, un cluniste de Crépy-en-Valois, un des quatre moines qui survécurent, et qui devint le premier curé concordataire de Saint-Wandrille. Se trouvait aussi sur Les Deux Associés le Père Jean-Pierre Fotreau, carme déchaussé sous le nom de frère Laurent de Saint-Dominique, qui libéré également, deviendra en 1814 le dernier curé de la paroisse de Rançon, avant que les deux communes et les deux paroisses de Saint-Wandrille et Rançon ne fusionnent ; il mourut en 1821. Mais on trouvait aussi des prêtres jureurs que leur serment n’avaient pas mis à l’abri de la persécution.
 
Les conditions de détention étaient exceptionnellement dures. La journée se passait sur le pont, dans un espace d’environ cent mètres carrés pour quatre-cent-cinquante détenus. Une cloison de gros madriers, la rembarde, les séparait de l’équipage, quatre canons chargés à mitraille étant perpétuellement braqués sur eux, par crainte d’une révolte.
 
L’inaction était une torture. Labiche de Reignefort, un survivant dont le témoignage a une particulière importance, note : Nous vivions au jour la journée, presqu’uniquement occupé, comme les sauvages errant dans les forêts, à pourvoir aux besoins physiques, et à nous défendre, comme nous le pouvions, contre le froid, la faim, la maladie et les insectes rongeurs qui nous dévoraient. (Pierre-Grégoire Labiche de Reignefort, Relation de ce qu’on souffert pour la Religion les Prêtres français insermentés, déportés en 1794 dans la rade de l’isle d’Aix, près Rochefort, Le Clerc, Paris, 1796).

Toute faute ou tout propos entendu et mal interprété par l’équipage donnait lieu à des sanctions comme les fers à fond de cale. Il y eut même, le 3 mai, l’exécution capitale d’un chanoine de Limoges, soupçonné d’avoir prononcé des paroles séditieuses.
 
Le pire moment de la journée était la nuit. Les déportés étaient alors enfermés dans l’entrepont, véritable cachot, fermé d’épais barreaux à deux pouces l’un de l’autre, ne recevant d’air et de lumière que par l’entrée si exiguë. Pendant douze heures d’affilée, ils devaient rester là, « comme hareng en caque », avec 44 centimètres de largeur pour chacun et 66 au-dessus de leur corps étendu.
 
Ce croupissoir devint un enfer quand la maladie se déclencha, et que morts et mourants restèrent mêlés aux autres. Le commandant inventa un procédé de torture, soi-disant pour désinfecter : une fumigation matinale de goudron aux boulets rouges, les déportés devant ensuite quitter l’entrepont devenu un four, pour monter sur le pont, au froid et au vent de l’océan.
 
Pourtant, ces prêtres soumis à de pareils tourments restent prêtres jusqu’au bout. Malgré l’interdiction de prier ne serait-ce qu’en remuant les lèvres, la confiscation des objets de piété et signes de religion, particulièrement des livres et bréviaires, les prêtres purent continuer une certaine vie de prière, notamment sacramentelle : les malades furent administrés avec le Saint-Sacrement et les saintes huiles qui avaient pu échapper aux fouilles.
 
L’Office était célébré en commun, en cachette, autant que cela était possible, avec les éléments connus par cœur. Un témoignage de cette volonté de garder une attitude chrétienne nous est donné par le règlement que se donnèrent les premiers arrivés sur Les Deux Associés : nous trouvons dans ces neuf articles un grand appel à l’espérance, au détachement des biens, y compris la liberté, au refus de toute vengeance ou complaisance dans le souvenir des souffrances subies en cas de libération.
 
Les conditions de vie, jointes aux privations de nourritures et d’eau douce expliquent la dégradation de l’état sanitaire des détenus : la gale, le scorbut, la gangrène, la dysenterie, le typhus et autres fièvres… Les pontons deviennent vite des mouroirs. Il fallut même isoler certains des plus contagieux. Laly obtint du port de Rochefort une puis deux goélettes, dont on fit des hôpitaux : de nombreux témoignages nous parlent de la condition atroce des malades qui y furent transportés, laissés sans soins, entassés à cinquante ou soixante où il n’y avait de place que pour vingt. La mortalité devint vite effrayante : six morts en avril sur Les Deux Associés, onze en mai, vingt-huit en juin, presque autant dès la mi-juillet. Les autorités du port commencèrent à s’inquiéter, à craindre la contagion pour l’équipage et les habitants de l’île d’Aix où les victimes étaient inhumées. Elles demandèrent une visite sanitaire des deux vaisseaux, notamment Les Deux Associés où la situation était la pire. Un médecin proposa de construire un hôpital de tentes sur l’île Madame, renommée révolutionnairement île Citoyenne, pour y transférer les malades les plus atteints.
 
Il faudra attendre le 20 août pour que commence le débarquement de quatre-vingt-trois malades. Il prendra plusieurs jours, et permettra une amélioration de l’état d’un bon nombre. Mais la fatigue du transbordement a coûté la vie à trente-six d’entre eux qui périrent dès les premières heures. Parmi eux, dom Louis-François Lebrun qui rendit l’âme le 3 fructidor an II (20 août 1794) ou la veille, selon le récit de Labiche de Reignefort, qui nous dit : Il flotta longtemps entre la vie et la mort au grand hôpital, et périt enfin, au moment où, débarqué à l’île Citoyenne, comme il l’avait désiré, il sembloit devoir bientôt se rétablir, après avoir considérablement souffert, et toujours avec une grande résignation. (Relation… 2e édition, 1801, p. 176.)
 
Il fut inhumé à l’île Madame.

Une grande croix de galets, formée à même le sol,
marque l’endroit où furent ensevelis les prêtres.

portrait moral

Il nous est difficile de tenter une description de la personnalité de notre martyr. On n’a de lui aucun écrit, ni même aucun portrait.
 
Le seul véritable témoignage est encore celui que nous a laissé Labiche de Reignefort quand il dit : Littérateur, peintre, mathématicien, dom Lebrun étoit aussi modeste qu’instruit, et aussi pieux que modeste. La douceur et l’honnêteté de son caractère se peignoient dans toutes ses manières pleines d’urbanité, et jusques dans les traits touchants de sa figure (ibid).
 
A regarder son curriculum vitæ, on voit un homme studieux, capable de remplir des charges importantes, puisqu’il fut plusieurs fois supérieur. Mais il semble que son amour de l’étude, qu’il avoua lui-même lors de sa déclaration d’intention de 1790, l’ait souvent poussé à demander à être relevé de son priorat pour rentrer dans l’ombre.
 
Ne voyons donc pas en lui un de ces martyrs bouillant de vie, voire marchant vaillamment au supplice, mais un moine fidèle, tiré malgré lui de son cloître. Il n’avait rien d’un grand ascète, la vie des mauristes du XVIIIe siècle avait subi des adoucissements. Ne voit-on pas sur une facture de l’apothicaire de Caudebec la mention de la fourniture d’une demi-livre de sucre Candy blanc pour D. Lebrun ? Il est ailleurs question de tabac à priser et de chocolat…
 
Le martyre n’était pas envisagé, mais quand dom Lebrun dut résister à ce qui était un abandon de son état, de son idéal, de sa foi, il sut résister, et résister héroïquement jusqu’au martyre. La plupart de ses confrères prêtèrent le serment par conformisme à l’esprit du temps et pour s’insérer dans la société nouvelle qu’ils pensaient devoir durer, notre martyr préféra demeurer fidèle. N’est-ce pas le plus beau message qu’il laisse à tout consacré ?
 
Les souffrances des déportés ne s’étaient pas arrêtées avec le débarquement des malades sur l’île Madame : un hiver rigoureux succédant à un automne pluvieux avait encore fait de nombreuses victimes, même si les témoignages montrent un adoucissement notable du sort des prisonniers après la chute de Robespierre et la fin de la Terreur.
 
Peu à peu, on a commencé à s’émouvoir du sort de ces prisonniers injustement enfermés. Quelques libérations de prêtres jureurs survinrent en décembre, mais il fallut attendre février 1795 pour que les déportés soient débarqués. Ils furent convoyés jusqu’à Saintes où ils attendirent les ordres de libération dans les locaux désaffectés de l’abbaye Notre-Dame. Fin mars, tous les survivants avaient retrouvés la liberté.
 
Au total, la déportation sur les pontons de Rochefort a concerné 829 prêtres, dont 547 ont péri d’avril 1794 aux premières semaines de 1795. Cette hécatombe resta pourtant longtemps ignorée, et même volontairement tenue cachée, par souci de ne pas réveiller les querelles de la Révolution.
 
Les anciens déportés eux-mêmes, quoique certains aient publié leurs précieux souvenirs, ne cherchèrent pas à obtenir le châtiment de leurs bourreaux. A partir de 1830, et surtout de 1860, on exhuma peu à peu la cause des prêtres. En 1911, le procès fut ouvert par la nomination d’un postulateur.
 
La cause aboutit par la béatification solennelle d’octobre 1995, par laquelle l’Église reconnut en soixante-quatre des victimes des pontons (le bienheureux Jean-Baptiste Souzy et ses compagnons) d’authentiques témoins de la foi, mis à mort volontairement, en haine de la foi, et en acceptant consciemment leur sort.

Le XIXème siècle – L’Abbaye sans moine

1791 : Le monastère est vendu comme bien national à un industriel d’Yvetot, Cyprien Lenoir.

L’ABBAYE EN 1789 – gravure de Hyacinthe et Espérance Langlois (1826)

Cuprien Lenoir

A la fin de l’année 1792, il va installer dans le monastère déserté sa première manufacture. On sait qu’en mars 1793, c’est une fabrique d’épingles en laiton qui occupe les lieux. Le réfectoire et la salle du chapitre sont transformés en ateliers. Des machines sont installées dans la « salle aux colonnes » ou promenoir (détruit vers 1865).
 
Les nombreux ouvriers qui y travaillent, logent dans les bâtiments de l’abbaye, et surtout dans les bâtiments des communs, dans le pavillon de la boulangerie qui se situait dans leur prolongement, et dans un pavillon du jardin.
 
La fabrique d’épingles va durer de 1792 à 1795. En même temps qu’elle, et pour les besoins de la guerre aux frontières, à laquelle la France est alors confrontée, Nicolas Cyprien Lenoir et son fils mettent en place en 1793-1794, une fabrique de salpêtre et de poudre.
Nicolas Cyprien Lenoir, alors âgé d’une soixantaine d’années, est en effet assisté de son fils Augustin Bernard Lenoir (1771-1846), qui se qualifie de « chef d’atelier à Saint-Wandrille ». Celui-ci demande le 8 juin 1794 qu’une cloche soit sonnée à 5 heures, midi et 7 heures, pour faciliter le commencement et la fin des travaux de la « grande quantité d’ouvriers » qu’il emploie.

C’est à cette époque aussi qu’on commence la démolition de l’église du monastère, pour en vendre les matériaux, ce « travail » s’échelonnant sur plus de quarante ans.

LA CARRIÈRE DE PIERRES– Civeton(1824)

La manufacture d’épingles va rapidement laisser la place vers 1795 à une manufacture de tabac, dont la suppression sous l’Empire sera considérée comme une calamité pour la commune.
 
On sait qu’en 1811, 10 ouvriers, 6 hommes et 4 femmes, sont employés à l’abbaye chez les Lenoir, mais 25 sont sans occupation, à cause du blocus continental qui empêche les activités économiques de s’épanouir.
 
Augustin Bernard Lenoir dirige ensuite à l’abbaye, de 1811 à 1823, un « grand établissement de filature » installé dans la salle aux colonnes ou promenoir, salle qui surplombe en partie la Fontenelle. Elles recrutent alors un personnel nombreux, les parents sont employés comme filateurs, et les enfants comme bobineurs. Mais l’effectif des usines varie beaucoup selon les besoins du marché. Peu à peu, la mécanisation du textile dans les grandes villes vient porter le coup de grâce aux filatures dans les communes rurales.
 
Augustin Bernard Lenoir devient maire de Saint-Wandrille de 1823 jusqu’en 1828.
 
Désireux de donner un nouvel élan à son activité, Augustin Bernard Lenoir demande le 4 mars 1836 l’autorisation à la Préfecture de Seine-Inférieure de modifier le cours de la Fontenelle à l’intérieur de l’enclos de l’abbaye, afin d’établir un « moulin à blé, à tan ou pour tisser » (Il n’est donc pas encore fixé sur la finalité exacte de son usine), à l’extrémité du bâtiment Est dont il est propriétaire. Une série de vannes viendrait détourner la rivière dans un petit canal dirigé vers une « usine » projetée, avec sa roue hydraulique, dans le sous-sol de l’ancienne bibliothèque.
 
L’autorisation est accordée le 26 mars 1837 par ordonnance royale. Une dérivation du cours de la rivière est établie, qui subsistera, avec des transformations, jusqu’en 1930. Un moulin à tan est établi dans le sous-sol du pavillon nord de l’aile Est de l’abbaye, sous l’ancienne bibliothèque. Mais le moulin fonctionne mal, en raison du reflux fréquent des eaux en amont du moulin Lefebvre-Delabrière. La rivière a en effet été détournée durant la Révolution par Delabrière, entre l’actuelle rue Saint-Jacques et Caudebecquet, pour l’établissement d’une chute d’eau plus importante.
 
Un premier procès avait déjà été intenté entre 1828 et 1832 à propos du débit de la Fontenelle, réduit par la dérivation. En 1840, Augustin Bernard Lenoir demande l’établissement d’un déversoir suffisant à la sortie de l’abbaye, vers l’ancien lit de la rivière. Il ne semble pas qu’il ait alors obtenu gain de cause. Un plan établi en 1842 montre que le litige n’avait pas encore trouvé de solution.
 
Augustin Bernard Lenoir dut donc modifier la force motrice de sa nouvelle manufacture. Nous savons en effet que renonçant à utiliser la force hydraulique, il fait installer vers 1843 une machine à vapeur de la force de six chevaux, pour faire fonctionner sa manufacture de tissage. Cet établissement est alors dirigé par Augustin Cyprien Lenoir (1804-1862) – fils d’Augustin Bernard Lenoir – et par Alexandre Coquatrix. Ce dernier était parent de Louis Alexandre Lebreton, maire de Saint-Wandrille (mort en 1856) qui avait épousé la sœur d’Augustin Bernard Lenoir, laquelle était propriétaire de la partie Ouest de l’abbaye.
 
La manufacture de tissage sera rapidement fermée, entre 1847 et 1850, après avoir fonctionné plus mal que bien durant une dizaine d’années.
 
Les deux parties du monastère seront vendues en 1863, au marquis de Stacpoole.

Les Stacpoole à Saint-Wandrille

Venus à Caudebec en 1863 pour admirer le mascaret, le marquis de Stacpoole et sa femme visitèrent Fontenelle, et éprouvant pour ce lieu qui les avait séduits l’un et l’autre aussitôt une grande admiration, ils résolurent alors d’acheter l’abbaye qui à ce moment était en vente en deux lots, ce qui se réalisa le 5 août et le 11 septembre 1863.
 
A partir de ce moment le marquis et la marquise de Stacpoole partagent leur temps entre l’hôtel qu’ils habitent à Paris, Londres et la Grande-Bretagne où leurs enfants seront élevés, Rome où ils séjournent régulièrement à partir de 1867 et Saint-Wandrille où ils font réaliser des travaux considérables d’aménagement de 1863 à 1867 voulant transformer l’abbaye en résidence d’été dans le genre des châteaux anglais.
 
Il crée une avant-cour devant la porte de Jarente, avec la réalisation d’un portail dans le style d’un portail fermant la cour ovale du château de Fontainebleau.
 
Il transforme le réfectoire : les fenêtres Sud sont murées, les baies Nord transformées, des ouvertures percées, l’arcature romane dégagée de son plâtre, et surmontée d’une galerie qui fait communiquer les deux bâtiments Est et Ouest. Le grand réfectoire devient un grand hall, avec parquet de chêne, escalier monumental, billard, fausse cheminée. Une salle à manger est aménagée dans la partie Ouest.

Il entreprend également l’aménagement du promenoir de l’aile Est en jardin d’hiver, mais c’est un échec et il fallu détruire une bonne partie du bâtiment.

Modifications réalisées par Lord Stacpoole sur l’aile Est, le réfectoire et l’aile Ouest.

Le marquis de Stacpoole fait en Normandie de fréquents séjours avec sa famille. La jeune marquise, épouse de Stanislas, est très attachée à Saint-Wandrille. Dans son testament rédigé entre 1868 et 1872, elle déclare à son mari qu’examinant ses comptes, il constatera ses charités annuelles au « dear Fontenelle », lui demandant de s’arranger pour que ses pauvres ne souffrent pas de sa disparition.
 
Mais la famille de Stacpoole a la goût des voyages. Lors d’un séjour à Naples, la jeune marquise de Stacpoole attrapa la fièvre typhoïde et mourut le 28 avril 1872 à Rome, laissant un mari éploré de 43 ans, un fils de 12 ans et une fille de 5 ans.
 
De retour à Saint-Wandrille, le marquis entreprit de nouveaux travaux à l’abbaye, reprenant l’extrémité nord de l’aile Ouest, mais là encore les travaux ne furent pas achevés. Suivant les désirs exprimés par sa femme dans son testament, il fit ériger au chevet de l’église dans l’ancien cimetière, un calvaire à la mémoire de la marquise, qui avait porté tant d’intérêt à la paroisse durant sa vie. Ce calvaire fut béni le 6 juillet 1873 en présence de 3000 personnes.
 
Ses séjours romains se multipliant, les visites à Saint-Wandrille se raréfient dans les années suivantes. Stanislas de Stacpoole s’apprête alors à entrer dans les ordres.
 
En mai 1893, l’abbaye est donc de nouveau en vente, mais ne trouve pas d’acquéreur. En août 1893, le cardinal Thomas archevêque de Rouen, séduit par l’idée de restaurer la vie bénédictine dans son diocèse, engage des pourparlers avec l’Abbé de Saint-Martin de Ligugé, dom Joseph Bourigaud, qui vint visiter le monastère avec son prieur dom Joseph Pothier.
 
Le 30 décembre 1893, l’abbaye est vendue à la Société civile mobilière et immobilière de Saint-Wandrille. Mgr de Stacpoole en conséquence de sa participation à la vente renonce au service de la rente viagère stipulé dans l’acte de 1889, mais obtient en compensation, de conserver une bonne partie de l’aile ouest du monastère, sa vie durant, moyennant le versement d’un loyer.
 
Le 13 février 1894 Mgr de Stacpoole accueillait le petit groupe de moines de Ligugé venu reprendre la vie monastique à Saint-Wandrille, et assurait pendant plusieurs semaines leur subsistance, leur montrant également sa générosité en leur fournissant des ornements liturgiques. Plus tard il leur offrira reliques et reliquaires en provenance de Rome.

Ordonné sous-diacre le samedi saint 27 mars 1875, puis diacre par son ami le cardinal Howard dans la chapelle du Palazzo Massimo où il avait été baptisé, et enfin le dimanche 24 décembre de la même année prêtre dans la chapelle du couvent du Sacré-Cœur de Rome. Il célébra sa première messe la nuit de Noël, dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, en présence de ses enfants et de toutes les personnes de sa maison.
 
Le nouveau prêtre avait voulu « qu’une abondante distribution de pain et de viande fut faite aux pauvres ce même jour dans l’abbaye, et, en action de grâces de son sacerdoce, il s’engagea à faire construire à ses frais dans l’église paroissiale de Saint-Wandrille une chapelle dédiée au Sacré-Cœur ».
 
Cette chapelle fut effectivement entreprise en 1879, ainsi qu’un oratoire particulier et une sacristie qui furent achevés vers 1881. Il fit apposer trois plaques à la mémoire de sa mère, de son épouse et de tous les religieux de Fontenelle dans la chapelle de la Vierge qu’il avait fait orner de peintures et restaurer en 1865-1867.
 
Nommé chanoine de Sainte-Marie au Trastevere, Il fut ensuite élevé par Pie IX à la dignité de prélat, et enfin nommé référendaire de la Signature papale de Justice le 14 février 1880 par le Pape Léon XIII.
En septembre 1881 le fils du prélat, George de Stacpoole âgé de 21 ans, alors lieutenant au régiment de Yorkshire, qui séjournait fréquemment à l’abbaye, se rendit acquéreur de terrains et de bâtiments sur la commune de Saint-Wandrille ; il semblait alors vouloir établir son pied-à-terre à l’abbaye qui avait été la maison d’été de son enfance et de sa jeunesse. Il emmena sa jeune femme vivre à Saint-Wandrille, où son père Mgr de Stacpoole ne faisait plus que de rares séjours. Ils eurent le 7 octobre 1884 une fille, Gertrude née à l’abbaye. Mais la jeune marquise de Stacpoole, malgré la similitude de climat entre son pays natal et la vallée de la Fontenelle, s’ennuyait de vivre à l’étranger, n’ayant jusqu’alors vécu qu’en Irlande, contrairement à son mari dont la jeunesse n’avait été qu’une longue errance de villégiature en villégiature à travers l’Europe, et qui continuera toute sa vie à voyager de par le monde. Elle se fit offrir par sa propre mère une propriété en Irlande, Mount Hazel, où le jeune couple se fixa fin 1886.
 
Le 2 mars 1889, en raison du désintérêt de son fils et surtout de sa belle-fille pour Fontenelle, Mgr de Stacpoole, toujours attaché à ces lieux cédait l’abbaye toute meublée à sa fille et à son gendre, Me et Mrs Talbot, moyennant une rente annuelle. Monseigneur se réservant la jouissance de son appartement et la libre disposition de toute la propriété un mois par an.
 
George, le jeune marquis de Stacpoole s’estimait lésé par cette cession à laquelle il n’avait pas donné son accord comme héritier de la défunte marquise. Il fit donc opposition à la vente, qui le privait d’un séjour en Normandie qu’il semblait toujours affectionner en raison des souvenirs qui y étaient rattachés. Dès 1890, sans doute effrayée par les sommes nécessaires pour assurer l’entretien d’une pareille propriété, Mrs Talbot essayait de vendre l’abbaye, où elle passait une bonne partie de l’année. Cette mise en vente fut sans succès, ou peut-être retira-t-elle l’offre de vente parce que son père y était opposé.
 
Séjournant à Venise en février 1896, Monseigneur de Stacpoole tomba dans un canal et se blessa. Ramené à Rome, il demeura alité pendant un mois avec une ulcération de l’épaule; des complications survinrent, et il mourut le dimanche 16 mars 1896, sans que le bruit de sa maladie courut dans la Ville, tant était grande la discrétion de sa vie.
 
Après sa mort, son corps fut revêtu selon ses dernières volontés, de l’habit gris de l’archiconfrérie des Stigmates, à laquelle il appartenait, et qui ne le quittait jamais dans ses nombreux déplacements, les reins ceints d’une cordelière blanche, l’insigne de la confrérie sur sa poitrine, une croix de bois entre les mains, l’ample capuchon sur la tête, les pieds nus, et exposé dans sa résidence, Piazza Monte d’Oro.
 
Ses funérailles se déroulèrent le mercredi 19 mars en l’église San Lorenzo in Lucina ; le deuil était conduit par son fils le jeune marquis George de Stacpoole, qui avait pu se rendre au chevet de son père. Le cercueil était couvert de ses insignes prélatices et du manteau de sa confrérie. La messe et les absoutes furent accompagnées musicalement de plain-chant et de pièces de Palestrina.
 
Le 26 mars, les moines de Saint-Wandrille avaient chanté une messe solennelle de Requiem pour le repos de son âme comme à un bienfaiteur de la restauration de leur monastère.
sources

  • L’Abbaye Saint-Wandrille (ASW) 1963, « L’abbaye de 1863 à 1894 », p.18-28.
  • Curieuses Recherches de Fontenelle 1964, « L’abbaye de 1863 à 1894 », p. 39-69.
  • George de Stacpoole, Irish and other memories, London, Philpot, 1922.
  • Hubert de Stacpoole, An account of the de Stacpoole family, 1968.
  • The Tablet, Obituary, 28 mars 1896.
  • Illustrated London News Obituary, 1896.
  • Burke’s Peerage, Foreign titles section.

Après plusieurs mois de pourparlers, quelques moines viennent le 13 février 1894, sous la conduite de dom Jean Martial Besse, reprendre possession de l’abbaye. Les fondateurs ont la nette conscience de s’enraciner dans sa tradition monastique propre, qui n’avait connu que deux brisures en plus de douze siècles d’existence.
 
Après des débuts difficiles, soutenus par dom Hildebrand de Hemptinne, abbé primat de la confédération bénédictine, dom Joseph Pothier, restaurateur du chant grégorien, est nommé prieur puis abbé en 1898.
 
Cependant, sept ans seulement après la restauration du monastère, la communauté fut contrainte de l’abandonner sous la pression des évènements. La loi de 1901 interdisant les congrégations religieuses oblige les moines à s’exiler de nouveau.

30 ans d’exil

En septembre 1901, les trente-sept religieux de la communauté se réfugièrent 2 ans à Vonêche en Belgique, deux ans et demi après, puis au château de Dongelberg, en Brabant, et enfin à Conques dans les Ardennes belges.

Au mois d’août 1914, la guerre fut déclarée. Douze religieux furent mobilisés, réduisant la communauté à vingt-six moines. Le monastère assura l’accueil durant la déroute, mais se trouva vite au cœur de la bataille. Les bâtiments sont dévastés, les frères manquent de tout.
 
Après 4 années terribles, les moines décident de rentrer en France, mais Saint-Wandrille a été loué jusqu’en 1933, et il fallu donc trouver une solution d’attente. En 1924, ils trouvèrent refuge dans un ancien séminaire à Réray, dans le diocèse de Moulins.

Dom Joseph Pothier

Il sera nommé par le pape Pie X en 1904, président de la « Commission pontificale pour l’édition vaticane des livres liturgiques grégoriens », pour laquelle il réside à Rome de 1904 à 1913.
 
Il obtient un coadjuteur en 1920 et mourut à Conques (province de Namur) le 8 décembre 1923.
 
Texte du nécrologe de l’abbaye Saint-Wandrille, à la date anniversaire de la mort de dom Joseph Pothier, le 8 décembre 1923 : « A l’ancien prieuré de Conques en Ardenne, décès du Révérendissime Père dom Joseph Pothier, premier abbé régulier de Saint-Wandrille depuis l’instauration de la Commende. Sous-prieur de Solesmes pendant plus de vingt-six ans, dont près de onze sous dom Guéranger, dom Pothier travailla avec son abbé à la restauration de la liturgie en France. Après qu’il eut édité les livres de chant des monastères, il fut appelé à Rome par le Pape Pie X, et se vit confier l’édition vaticane des livres de chœur de la sainte Église romaine Entre temps, dom Pothier avait été nommé prieur de Ligugé, puis de Saint-Wandrille. Peu après il devenait abbé de notre monastère, réalisant le nom de père plutôt que celui de maître, et faisant toujours passer la miséricorde avant le droit. En 1901, il dut prendre le chemin de l’exil avec ses fils et en 1912 fonder Saint-Benoît-du-Lac au Canada. Quelques années après la première guerre mondiale, dom Pothier s’endormait dans le Seigneur; son corps inhumé d’abord à Saint-Maurice de Clervaux, repose aujourd’hui aux pieds de Notre-Dame de Fontenelle ».
références bibliographiques

  • Albert Bescond, Le chant grégorien, Buchet-Chastel, Paris, 1972, 318 p
  • Jean Claire, « Dom André Mocquereau cinquante ans après sa mort », in Études grégoriennes, XIX, Solesmes, 1986.
  • Pierre Combe, Histoire de la restauration du chant grégorien d’après les documents inédits, Solesmes et l’édition vaticane, Solesmes 1969.
  • Lucien David, « La restauration grégorienne et l’édition typique du graduel romain », in Revue du chant grégorien, 1908, mars-avril p. 125-130, mai-juin p. 154-159, sept-oct p. 23-25, 1909, janv-février p. 88-90 ; « Dom Joseph Pothier abbé de Saint-Wandrille et la restauration du chant grégorien », in Trav. Acad. de Rouen, 1942-1944, p. 269-302 ; « Dom Joseph Pothier abbé de Saint-Wandrille et la restauration du chant grégorien », in L’Abbaye Saint-Wandrille (L’ASW) 32-36 (1983-1987).
  • Gabriel Gontard, « Le Rme dom Joseph Pothier abbé de Saint-Wandrille 1898-1923 », in L’ASW 2 (1952), p. 3-8.
  • Jean Montier, « L’abbaye de 1894 à 1901 », in L’ASW 14 (1964), p. 17-34 ; « L’abbaye de 1901 à 1920 », in L’ASW 15 (1965), p. 10-28.
  • Joseph Daoust, art. « Pothier », in Catholicisme, t. XI, col. 675-678.

Maeterlinck et
Georgette Leblanc

De 1907 à 1914, des personnalités originales occupent l’abbaye, l’écrivain Maurice Maeterlinck et son égérie l’actrice Georgette Leblanc, sœur de l’auteur d’Arsène Lupin.
 
Ils s’installent dans l’aile Ouest. Georgette meuble les grandes pièces de bergères à la mode XVIII° siècle, de tabourets Renaissance, des portières de taffetas mordoré coupent les vastes salles.
 
Le 29 août 1909, Georgette réalise une représentation de « Macbeth » à l’abbaye, au profit des pauvres du village. Georgette sélectionne les acteurs et les figurants, puis les répétitions commencent. Elles durent un mois et, pendant ce temps les acteurs logent dans les cellules de l’ancien monastère (probablement celles du bâtiment est). D’autres sont logés chez l’habitant.
 
L’élite de spectateurs choisis devaient suivre le déroulement de la pièce en se déplaçant dans les salles de l’abbaye : banquet de Macbeth dans le grand réfectoire, fantômes des rois surgissant dans la galerie du cloître…
 
En 1910, Georgette renouvelle l’événement en jouant « Pelléas et Mélisande ».

La famille Latham

En 1919, le bail de Saint-Wandrille fut cédé par Maeterlinck au constructeur d’avions Jean Latham dont les usines étaient situées entre le village de Saint Wandrille et la ville de Caudebec. Des pourparlers pour reprendre l’abbaye furent engagés à ce moment par la communauté, mais se heurtèrent au refus du locataire.
 
La famille Latham vivra ensuite plusieurs années à l’abbaye, et le réfectoire devenu en fait salle de jeux, constituera une parfaite piste de patins à roulettes pour les enfants de la maison.
 
En 1931, le locataire de l’abbaye accepte enfin le rachat de son bail. Après un exil de près de 30 ans, la vie conventuelle reprit enfin. Quarante-six religieux composaient la communauté, dont cinq résidaient à la fondation de Saint-Benoît du Lac au Canada, fondée en 1912.

La communauté réintègre son monastère normand le 26 janvier 1931.
 
Pour subvenir aux besoins matériels de la communauté est créée en 1937 un atelier de fabrication d’encaustique, lequel sera relayé dans les années 1970 par un atelier de microcopie, puis, dans les années 1990, un atelier de restauration d’œuvres peintes. D’autres activités verront le jour : une boutique d’artisanat monastique et, en 2016, une brasserie.
 
Dom Gabriel Gontard (+1986), abbé de 1943 à 1962, réalise la restauration des bâtiments endommagés par un bombardement en août 1944. C’est sous son abbatiat que sera célébré le treizième centenaire de l’abbaye en 1949.
 
Son successeur dom Ignace Dalle (+1985), abbé de 1962 à 1969, est un artisan actif du millénaire du Mont-Saint-Michel en 1966. Il dote son monastère d’une nouvelle église abbatiale, ancienne grange seigneuriale du XIIIe siècle provenant du département de l’Eure.

C’est après l’élection du Père Abbé dom Antoine Levasseur que cette nouvelle église est dédicacée, le 12 septembre 1970. Sous cet abbatiat est restauré le grand réfectoire.
 
En 1996, dom Pierre Massein succède à dom Levasseur. Sous son abbatiat une rénovation est effectuée de nos maisons d’accueil : hôtellerie intérieure, accueil Saint-Joseph, aménagement de la salle Saint-Paul. D’importants travaux sont aussi entrepris pour la modernisation de la cuisine.
 
Dom Jean-Charles Nault est élu 82e abbé de Fontenelle le 22 avril 2009 et reçoit la bénédiction abbatiale des mains de Mgr Jean-Charles Descubes en la fête de saint Vulfran (1er juin) de la même année. A l’occasion du quarantième anniversaire de la dédicace de l’église abbatiale, il entreprend une rénovation intérieure de l’édifice qui commence en août 2010.

Abbés de Fontenelle

1er abbé saint Wandrille
2e abbé saint Lantbert (+688)
3e abbé saint Ansbert (+695)
4e abbé saint Hildebert Ier (694-701)
5e abbé saint Bain (701-710)
6e abbé saint Bénigne (710-716, puis 719-724) 7e abbé saint Wandon (716-719, puis 747-754) 8e abbé saint Hugues (725-732)
9e abbé saint Landon (732-735)
10e abbé Teutsinde (735-742)
11e abbé Wido (742-744)
12e abbé Rainfroy (744-747)
13e abbé saint Austrulf (747-753)
14e abbé Witlaïc (753-787)
15e abbé saint Gervold (787-806)
16e abbé Trasaire (806-817)
17e abbé Hildebert II (817-818)
18e abbé Eginhard (818-823)
19e abbé saint Anségise (823-833)
20e abbé Joseph I (833-834, puis 841)
21e abbé saint Foulques (834-841)
22e abbé Hérimbert (841-850)
23e abbé Louis (850-867)
In manu regis (867-886)
24e abbé Ebles (886-892)
25e abbé Womar (950-960)
26e abbé Maynard (960-966)
27e abbé nom inconnu
28e abbé Ensulbert (+ 993)
29e abbé nom inconnu (993-1006)
30e abbé saint Gérard Ier (1006-1029)
31e abbé saint Gradulphe (1029-1048)
32e abbé Robert Ier (1048-1063)
33e abbé saint Gerbert (1063-1089)
34e abbé Lanfranc (1089-1091)
35e abbé Gérard II (1091-1125)
36e abbé Alain (1125-1137)
37e abbé saint Gautier (1137-1150)
38e abbé Roger (1150-1165)
39e abbé Anfroy (1165-1178)
40e abbé Gautier II (1178-1187)
41e abbé Geoffroy Ier (1187-1193)
42e abbé Robert II (1193-1194)
43e abbé Reginald (1194-1207)
44e abbé Robert III de Montivilliers (1207-1219)
45e abbé Guillaume Ier de Bray (1219-1235)
Guillaume de Suille abbé élu en 1235
46e abbé Robert IV d’Hautonne (1235-1244)
47e abbé Pierre Ier Mauviel (1244-1254)
48e abbé Geoffroy II de Nointot (1254-1288)
49e abbé Guillaume II de Norville (1288-1304)
50e abbé Guillaume III de La Douillie (1304-1342)
51e abbé Jean Ier de Saint-Léger (1342-1344)
52e abbé Richard de Chantemerle (1344-1345)
53e abbé Robert V Balbet (1345-1362)
54e abbé Geoffroy III Savary (1362-1367)
55e abbé Geoffroy IV de Hotot (1367-1389)
56e abbé Jean II de Rochois (1389-1412)
Guillaume de Hotot abbé élu en 1410
57e abbé Jean III de Bouquetot (1412-1418)
Jean Langret bénéficiaire (1418-1419)
58e abbé Guillaume IV Ferrechat (1419-1430)
Nicolas Lovier bénéficiaire (1419)
59e abbé Jean IV de Bourbon (1431-1444)
60e abbé Jean de Brametot (1444-1483)
61e abbé cardinal André d’Espinay abbé commendataire (1483-1500)
Urbain de Fiesque nommé par le Pape (1483-1485)
Jean VI Mallet abbé élu en 1500, mais non confirmé
62e abbé Philippe de Clèves abbé commendataire (1502-1505)
63e abbé Jacques Hommet dernier abbé régulier sous l’ancien régime (1505-1523) Clermont-Lodève nommé par le Pape, débouté de ses prétentions
64e abbé Claude de Poitiers abbé commendataire (1523-1546)
65e abbé Michel Bayard (1546-1565)
Gilles Duret garde et gouverneur du temporel de 1565 à 1567
66e abbé Pierre II Gourreau (1567-1569)
67e abbé cardinal Charles de Bourbon (1569-1578)
68e abbé Gilles de Vaugirault (1578-1585)
69e abbé Nicolas de Neufville (1585-1616)
70e abbé Mgr Camille de Neufville (1616-1622)
71e abbé Mgr Ferdinand de Neufville (1622-1690)
72e abbé Balthazar-Henri de Fourcy (1690-1754)
L’abbaye est en économat de 1754 à 1755
73e abbé cardinal Frédéric-Jérôme de Roye de La Rochefoucauld (1755-1757) 74e abbé Mgr Louis-Sextius de Jarente (1757-1785)
75e abbé cardinal Etienne-Charles Loménie de Brienne (1785-1790)
dom Jean Martial Besse, dom François Chamard, supérieurs en 1894
dom Joseph Bourigaud abbé de Ligugé, administrateur apostolique (1895- 1898) 76e abbé dom Joseph II Pothier prieur simple (1895-98) puis abbé (1898-1923) 77e abbé dom Jean VII Pierdait coadjuteur (1920-1923) puis abbé (1923-1942) 78e abbé dom Gabriel Gontard (1943-1962)
79e abbé dom Ignace Dalle (1962-1969)
80e abbé dom Antoine Levasseur (1969-1996)
81e abbé dom Pierre III Massein (1996-2009)
82e abbé dom Jean-Charles Nault (2009-

Prieurs Mauristes

dom Charles Fuscien de Lattre, 1637-1639.
dom Hervé Philibert Cotelle, 1639-1645.
dom Jacques Aicadre Picard, 1645-1651.
dom Guillaume Benoît Bonté, 1651-1652.
dom Jean Timothée Bourgeois, 1652-1656.
dom Jean Bernard Hamelin, 1656-1660.
dom Martin Bruno Valles, 1660-1663.
dom Jean Matthieu Jouault, 1663-1666.
dom Vincent Humery, 1666-1669.
dom René Anselme des Rousseaux, 1669-1670.
dom Edme du Monceau, sous-prieur, 1669-1670.
dom Pierre Laurent Hunault, 1670-1674.
dom Pierre Boniface Le Tan, 1674-1675.
dom Claude Carrel, 1675-1678.
dom Marc Rivard, 1678-1684.
dom Pierre Noblet, 1684.
dom Gabriel Dudan, 1684-1687.
dom Guillaume Hue, 1687-1693.
dom Robert Deslandes, 1693.
dom Nicolas Sacquespée, 1693-1696.
dom Gabriel Pouget, 1696-1699.
dom Claude Hémin, 1699-1705.
dom Jean-Baptiste Jouault, 1705.
dom Jacques Joseph Le Paulmier, 1705-1711.
dom Pierre Chevillart, 1711-1714.
dom Martin Filland, 1714-1717.
dom Louis Clouet, 1717-1723.
dom François L’héritier, 1723-1729.
dom Jean Foulques, 1729-1733.
dom Louis Barbe, 1733-1739 et 1740-1745.
dom Pierre Eudes, 1739-1740.
dom Jean Lefebvre, 1745-1748.
dom Jacques Martin Le Sec, 1748-1752.
dom Jean-Baptiste Duval, 1752-1757.
dom François René Desmares, 1757-1761.
dom Nicolas Faverotte, 1761-1768.
dom Louis Valincourt, 1768-1769 et 1775-1778.
dom Noël Nicolas Bourdon, 1769-1775.
dom Philippe Nicolas Dupont, 1778-1781.
dom Jean François Daspres, 1781-1783.
dom Mathurin François Brissier, sous-prieur, 1783.
dom Alexandre Jean Ruault, 1783-1790.